Je me trouverais bien un pays avec trois pouilleux et un peu plus. Des plantes, des arbres. La compagnie de la verdure. Etendue sur un transat au bord de l’eau. Pieds nus, cœur léger… Il y aurait des chevaux. Je serais palefrenière comme on est chamane pour s’adresser aux esprits. Je parle avec les cheveux. Ils m’écoutent, me répondent. Ils me voient. J’imagine… Mais je suis là. Et ici ce qui compte – mon compagnon. Lui. Toi oui. Mon compagnon je t’aime. Et c’est des gens, les rencontrer, discuter ensemble, partager. Découvrir ceux qui traversent les frontières parce que moi je ne peux pas franchir les miennes. Je suis là, je reste. Mais j’ai mes lieux, mes coins, comme on a ses oasis dans le désert. Le Cardan, le GEM. Pour les gens, je l’ai dit, pour les moments où on cuisine, pour les sorties aussi. Théâtre, concerts. Et puis les gens, je voudrais dire, on écoute la souffrance, l’humanité c’est aussi toutes ces douleurs. On s’accepte comme on est et les autres aussi, c’est comme ils sont. On s’aide, s’entraide. Mais dans la rue, les gens sont dans leur quotidien, marchent, marchent ; Ils passent, ils ne savent rien mais ils vous dévisagent, vous jugent du fond des yeux. Ou bien aucun regard. On est néant. Invisibles quand on leur parle. Ils ne répondent pas. Parfois ils ne vous entendent même pas. Un bonjour, pas de retour. Un début quand on a de la chance. Et pas de suite. Le moindre mouvement vers l’autre meurt dès qu’il commence. Comme on effacerait un chemin au bout de quelques pas. Et je ne parle pas de la cadence. On est lent, ils vous bousculent. On ne se sent pas invisible. On le devient. Oui. Personnalité inconnue. Ils ne veulent pas vous connaître. Ils vous résument à un corps qui passe. A une errance. On est fantomisé. Si je dois devenir invisible, laissez-moi choisir comment… Et je dirais dans l’eau. Pour l’étendue. Devenir plus vaste que moi-même. Comme un poisson nage dans ce qu’il est. Mais non. Je sais. Impossible. A peine un rêve. Je passe les semaines. Les jours se ressemblent. Je change de casquette (ça me protège du soleil, j’ai des fois des migraines, ça protège mes poux aussi). Mon camouflage et ses saisons. A chaque fois, c’est réussir sept fois de suite entre l’aurore et le crépuscule à ne pas devenir cinglé. Fou fantomisé.

Invisible, j’ai peur. Invisible comme ça. Je m’imagine. Parfois oui, je la vois. Une petite souris surgit. Elle sait, elle a conscience de ce qui se passe sous les apparences. Dans nos caves intérieures. Nos recoins de vie. Je suis invisible. On me fait ça. Mais on ne me laisse rien dans ce qui ne se voit pas. Mes objets, mes vêtements, mes courses, mon téléphone, tout est là, sous leurs yeux. On dirait que tout est confisqué. Si je disparais, qu’on me laisse emporter ce qui m’appartient. Et puis qui ça gênerait, je ne possède presque rien. On me rend invisible, qu’on laisse à mon invisible ce à quoi je tiens. Invisible. Moi. Mais on voit tellement, ça grimpe dans les yeux, on voit tellement les crottes de chiens, les cannettes jetées parterre, les poubelles qui débordent, tout ce qui traîne. Ce désordre sale.

Patricia – photo © Aurélien Buttin

Patricia – photo © Aurélien Buttin