Je suis étudiante et habite en banlieue parisienne. Tous les matins, je prends le RER pour aller en cours, c’est devenu une habitude et je ne suis pas la seule à le faire. Si je devais donner des éléments qui me définissent, je dirais que je ne fais pas attention à ce que les gens peuvent penser de moi. Je m’habille comme j’en ai envie, parce que je n’aime pas que quelqu’un(e) me dicte ma conduite, ce que je dois faire ou ne pas faire. Je n’aime pas la viande. En fait, je suis végétarienne et donc j’emmène toujours avec moi ma lunch box quand je vais à l’université. Ça fait partie de mon quotidien.

Un jour, quelqu’un(e) m’a demandé ce que je pensais de la marginalité, si c’était quelque chose qu’on pouvait choisir ou pas, si c’était forcément négatif. Au début, je l’ai mal pris parce que je pensais qu’on me collait d’emblée l’étiquette de marginalisée. Et puis j’ai réfléchi. Peut-être que j’étais marginalisée sans m’en rendre compte ou alors c’était par intermittence, et quand ça m’arrivait, je me sentais alors mal à l’aise. Mais il y a aussi des fois où l’on fait le choix d’être marginal(e) ou plutôt, certains de nos choix, nous amène à être marginalisé(e). Par exemple, j’ai choisi d’être végétarienne, mais ce n’est pas toujours facile. Je dois m’adapter au quotidien et prévenir mes ami(e)s quand je vais chez eux ou elles ou que l’on mange à l’extérieur. C’est toujours un peu délicat de demander s’il y a de la gélatine dans les bonbons à une soirée ou s’il y a un plat sans viande ou poisson. On a parfois l’impression d’être un peu séparé(e)s des autres. Mais ça me paraît plus important de respecter mes choix parce que ça fait partie de moi, et de comment je me définis. Il faut s’ajuster en quelque sorte pour faire disparaître cette barrière de la marginalité. C’est un peu difficile au départ mais, ensuite, les gens autour de nous s’y habituent. Je n’ai plus besoin de préciser que je suis végétarienne parce que mes ami(e)s savent et donc on trouve toujours quelque chose à cuisiner ou un endroit où manger tou(te)s ensemble sans que ça pose de problème. On fait preuve d’imagination même. Quand on apprend à mieux connaître les gens, les cas de marginalité finissent par disparaître d’eux-mêmes.

J’ai surtout le sentiment qu’être marginalisé(e) est avant tout une question d’étiquette, ou de catégorie dans laquelle les gens essaient de nous caser, sans même nous connaître. On est toujours marginalisé(e) par rapport à quelqu’un(e). Et je ne pense pas que quelqu’un(e) échappe à cette « règle », si je puis dire. Par exemple, quand j’étais au lycée, je suis allée au Nouveau Théâtre de Montreuil voir la pièce Les Bienveillantes. Là-bas, une femme – le genre de femme qui a l’habitude d’aller au théâtre, est bien habillée pour l’occasion, connaît beaucoup de choses et sait soi-disant comment se comporter –, cette femme donc nous a dit qu’on n’avait rien à faire au théâtre, que ce n’était pas fait pour nous. Enfin, c’est ce que la professeur nous a dit après coup mais on l’a aussi ressenti comme ça.

Peut-être que c’était moins dur sur le coup parce que j’étais très intéressée par la pièce et ne faisais pas très attention à ce qui se passait autour de moi, mais en y réfléchissant quelques jours après, j’ai pensé qu’il y avait quelque chose qui clochait dans le comportement de cette femme. Je ne comprends pas pourquoi elle a dit ça… Elle n’avait pas le droit de nous dire où on pouvait aller ou ne pas aller, où on serait accepté(e)s et où on ne le serait pas. Le théâtre est censé être ouvert à tout le monde. Peut-être qu’elle s’est sentie mal à l’aise, comme prise en faute, quand l’acteur principal sur scène a interrompu son monologue pour demander à la salle d’arrêter de tousser. Si je ne me souviens bien, elle toussait beaucoup au début de la représentation. Peut-être qu’elle a voulu déplacer la marginalité qu’elle a ressenti à ce moment-là sur un autre groupe, le nôtre, notre classe.

Au final, j’ai vraiment l’impression que la marginalité est quelque chose du quotidien et que si on ne fait pas attention, on peut aussi marginaliser des personnes autour de nous. Quand j’étais au collège, c’était fréquent de marginaliser quelqu’un(e) à cause des effets de groupe. On n’a pas envie d’être derrière les autres, de rester en retrait. On veut être sûr(e)s d’avoir toujours un groupe d’ami(e)s avec qui traîner. Il y a tellement de comparaisons et de compétitions au collège que tout pouvait jouer dans un sens comme dans l’autre : tes notes, tes vêtements, ton orientation sexuelle, ton caractère, etc. Je me souviens d’une fille qui était gothique punk. Tout le monde se moquait d’elle parce qu’elle avait un style étrange, pas commun. Maintenant, je me rends compte que c’est hâtif de cataloguer quelqu’un(e) sur ses vêtements. J’ai toujours eu envie de m’habiller comme je l’entends, même si mon style est plus « classique » je dirais, mais je ne cherche pas à suivre la mode à la lettre. Elle aussi elle avait ce droit-là finalement, même si ce n’est pas le genre de style vestimentaire qui me plaît le plus.