« Faites un portrait de groupe. » On s’est regardées, perplexes, et on a regardé la feuille blanche au milieu de la table. La consigne était claire mais on ne savait pas par où commencer. Ah si, un Snap avec l’Apple au milieu de la table.
« Faites semblant de travailler », on prend la pose, clac, la photo est prise, envoyée aux contacts et on se rassoit.
La feuille blanche est toujours au milieu de la table et nous autour, prêtes à attaquer.
Faites un portrait de groupe…
Un portrait de groupe ? Qu’est-ce qu’un portrait de groupe en fait ? C’est comme un groupe de portraits ? On est quatre, quatre filles différentes et on doit se réunir le temps d’un moment dans un texte.
Créons alors une figure qui nous ressemble, une personne qui nous rassemble.
Trouvons-lui un nom, Elion-Paul, Sye, Sabra et Mathilde, ça donne Hasyelima. Hasyelima,
c’est joli, on aime bien les sonorités, ça nous plait. Bon maintenant on veut lui trouver un âge
et là c’est plus difficile.
On discute, et puis on choisit la moyenne. Pas parce qu’on aime particulièrement les maths et
les équations avec des x et des y, mais on nous demande de nous résumer et la moyenne, c’est
justement comme le dit l’INSEE, « l’indicateur le plus simple pour résumer l’information
fournie par un ensemble de données ».
On a donc commencé à calculer… un portable, et c’est parti :
(16 + 16 + 16 + 22)/ 4 ça fait 17,25
Bon on va dire 17, c’est plus simple et les virgules, ça perturbe.
Donc on a 17 ans, enfin « on », pas nous, mais Hasyelima. On s’est regardées, satisfaites.
On a alors continué à calculer et puis on ne s’est plus arrêtées.
(14 + 5 + 20 + 14) /4 = 13
(7 + 7 + 3 + 7) / 4 = 6
6 comme juin. 13 juin, Hasyelima a son anniversaire le 13 juin donc. Et la pointure ?
(35 + 41 + 36 + 37) / 4 = 37
Pour la taille on dira simplement « moyenne » et pour la couleur de peau, un « métisse » fera
l’affaire.
Finalement on est arrivées au portrait suivant :
Hasyelima, jeune fille de 17 ans, née le 13 juin 1999, chausse du 37. Elle est de taille
moyenne et métisse. Elle habite à Nanterre dans le 92.
92 parce que (93+93+93+91) /4 et Nanterre, parce que le nom nous plaisait, on ne connaissait pas beaucoup de villes dans le 92 et celle-là, on l’aimait bien. Et puis après tout, le lieu où vit Hasyelima ce n’est peut-être pas le plus important, du moment que sa famille et ses proches sont près d’elle, elle est heureuse. Enfin avec de la bonne nourriture, c’est encore mieux !
Pour le caractère, on a décidé de changer de méthode, plus de moyenne mais une addition : Calme, attentive, sociable et rêveuse. La religion ? Catholique, musulmane, athée et musulmane… Ensemble ça donne quoi ?
Musulmane ? Oui pourquoi pas, c’est la majorité après tout.
Sinon Hasyelima, c’est une fille qui s’affirme, mais pas trop. Elle a peur du regard des autres,
elle se construit encore. Ses choix de musique sont influencés par ses amis, mais son style
vestimentaire, c’est le sien ; de toute façon, même parmi ses amis, tous ne s’habillent pas
pareils.
Hasyelima est sociable, elle est toujours entourée et elle n’aime pas voir des personnes
qui sont exclues. Parfois, ça la met mal-à-l’aise, elle ne sait pas comment réagir ; et parfois
elle pense que certains se mettent eux-mêmes dans cette situation, lorsqu’ils ne font pas
d’efforts pour aller vers les autres. Elle ne sait pas trop, après quelques tentatives, elle préfère
rester avec ses amis et s’occuper de son avenir. Pour elle, c’est bientôt le bac, elle doit faire
des choix. Choisir ce qu’elle veut faire, choisir ce qu’elle veut être, choisir qui elle veut être.
Avoir son bac, aller à l’université, faire des stages, créer sa propre entreprise, se marier, c’est
ce qu’elle veut faire. C’est ce qu’elle aimerait pouvoir faire. Ce sont des projets, mais pour
l’instant, pour elle, le plus important, c’est de se sentir bien là où elle vit, avec ses proches, dans son univers. Cet univers n’est pas forcément compris par tout le monde, il est parfois
stigmatisé, mais pour elle, c’est avant tout chez elle.
Voilà, Hasyelima c’est un peu nous. Ce sont des petits morceaux de chacune, des petits
morceaux bien mélangés, bien mixés, bien lissés, si bien que Hasyelima, c’est peut-être un peu tout le monde et personne finalement. C’est un portrait qui nous rassemble, un portrait qui
nous inclut, un portrait qui nous exclut, un portrait de groupe.
On se regarde, on la regarde, et puis on décide de continuer à discuter, échanger.
C’est ce qui nous rapproche le plus en somme.