Les personnages

Mariam. Elle habite à Villetaneuse, 18 ans, et passe son bac en section ES.
Louis. Il a 20 ans, habite en banlieue et a réussi à intégrer Sciences Po.

On est dans la bibliothèque publique du Centre Pompidou à Paris. Mariam révise son bac. Elle fait une pause dans ses révisions et va sur la terrasse. Une conversation s’engage entre Mariam et Louis.

 

Louis : Toi aussi tu fais des révisions ?

Mariam : Oui, je révise mon bac, et toi ?

– Pareil, des partiels pour Sciences Po. Tu le passes où ton bac ?

– Dans un lycée à Epinay.

– Ca ressemble à quoi Epinay ?

– Quand je dis Epinay, tous les parisiens pensent qu’il n’y a que des grandes cités, alors que pas du tout, il y a plein de petits parcs et d’endroits trop sympas, comme les bords de Seine pour les amoureux !

– Tu es dans quel lycée ?

– Feyder, c’est un lycée ZEP.

– Tu as vu, ils ont dit qu’ils allaient supprimer les aides pour les ZEP et il y a eu des grèves récemment…

– Oui, l’un des arguments de François Hollande c’était de valoriser l’école, les jeunes… Là je suis au lycée Feyder et on est 1600 élèves pour une capacité de 800 maximum normalement. Ca n’a pas changé, et je dirai même que ça n’a pas fait un semblant de changement. C’est pour ça qu’on se retrouve dans une salle de science en cours d’histoire.

– Il y a des aides quand même, il y a deux profs principaux en ZEP non ?

– Oui c’est vrai. Je suis en ZEP mais je ne le sens pas. Ils disent qu’ils vont couper les aides mais on ne sait pas ce qu’il va y avoir en moins. C’est sûr ils vont retirer le plat poisson à la cantine.

-Tu penses que c’est la priorité ?

– Oui, il y a soit un plat poisson soit un plat viande. Le poisson n’est même pas de qualité mais c’est quand même une grosse économie. Moi je mange des pâtes, c’est pas cher et c’est la nourriture des étudiants, et je ne fais pas trop bien la cuisine. Mais j’aime bien aussi les plats égyptiens.

– Ah, mais il y a un très bon dessert égyptien qui s’appelle le « oum ali », avec des fruits secs et de l’amande !

– Tu connais ? Ma mère elle en fait mais je n’aime pas ! Ca veut dire la mère d’Ali. Ma grand-mère on l’appelle comme ça. Oum ça veut dire mère, suivi du prénom du premier garçon. C’est une forme de respect – on n’appelle pas les mères et les femmes plus âgées par leur prénom.

-Du coup tu parles arabe ? Comment tu as appris ?

– Oui, égyptien et marocain ! C’est ma langue paternelle et maternelle, mais je ne sais pas lire ni écrire. Ma mère elle parle très bien français mais elle essayait de me parler le plus possible arabe, parce qu’elle savait que j’allais parler français à l’école…Du coup c’était un bagage en plus. Au Qatar et à Dubaï, ils parlent chelou par contre, ce n’est pas le même arabe. En gros les syriens, libanais, la Palestine ils parlent comme les Tunisiens et les Algériens. Mais avec les autres ce n’est pas évident de se comprendre. Par exemple, moi je parle marocain mais ma ville au Maroc, Sidi Ifni, elle a été colonisée par les espagnols. On me dit toujours qu’il y a des mots en espagnol et que ce que je dis est difficile à comprendre… Et c’est difficile parce qu’au bled on est des français, et en France on est des arabes – ça, je l’ai vécu.

-Ah, donc tu n’as pas appris au lycée ?

-Non, au lycée il n’y a pas de cours d’arabe alors que plein de monde serait intéressé. C’est bizarre d’ailleurs. Pourtant, il y a des cours d’espagnol.

– C’est fou, alors que les cours d’arabe à Sciences Po sont pleins à craquer ! Tout le monde veut apprendre l’arabe, ça devient tendance avec ce qui se passe en ce moment, pour être analyste ou spécialiste du Moyen-Orient… Tu sais, tu as de la chance, c’est précieux de parler l’arabe et tu peux vraiment en faire quelque chose. (quelqu’un passe) Tu as vu son look à lui ?

– Ahah oui, dans ces cas-là je peux me moquer un peu de la personne mais sans plus. Parce que le respect de l’autre ça compte, même pour les habits. Quand on parle mal, on manque de respect et bah ça pèse, ça énerve. Mais ça ne m’empêche pas de rire quand quelqu’un s’habille n’importe comment.

-Parce que le rire c’est le respect ?

– Oui, mais on ne peut pas rire de tout avec tout le monde. Je vais un peu le taquiner mais sans plus. Je serais indifférente si c’est quelqu’un que je ne connais pas. Et rire, ce n’est pas forcément se moquer. (ils rient) Tu vois ce que je veux dire ?

Et c’est ainsi que les destins de Mariam et Louis se croisèrent…