Dans le cadre d’un projet réunissant des lycéens de Jacques Feyder(Epinay‐sur- Seine) et des étudiants de Sciences Po (Paris), nous avons réalisé trois entretiens entre nous pour évoquer notre rapport aux notions de marginalité, de discrimination, de norme… Notre groupe était constitué de quatre filles (Sophia : 22 ans ; Jasmine : 16 ans ; Dorina : 16 ans ; Elodie : 15ans). Pour donner forme à nos réflexions, nous avons choisi d’interroger Abraham, 18 ans, personnage que nous avons imaginé et dont les propos retracent nos expériences et réflexions individuelles et collectives.

 

Entretien d’Abraham

Nous :

« Peux‐tu te présenter? »

Abraham :

« Je m’appelle Abraham, j’ai 18 ans et j’habite à Toulouse, et voilà.

Nous :

« Penses‐tu être dans la norme? »

Abraham :

« Ça dépend, c’est quoi la norme ? »

Nous :

« Donne‐nous ta propre définition de la norme ».

Abraham :

« La norme, faut que ça soit comme tout le monde, ni plus, ni moins. Faut être pile au milieu en fait.

Nous:

« Par rapport à ta définition, tu penses être dans la norme ? »

Abraham:

«  Oui et non. Ca dépend de mon environnement. A l’école, il y a une norme, moi j’ai mon propre style, je ne suis pas dans la norme.

Il faut s’habiller comme tout le monde en fait, avoir des vêtements de marque, etc.

A l’extérieur, les normes changent, elles sont moins présentes, car on voit un peu de tout.

Mais elles ne s’effacent jamais vraiment.

Nous :

« Comment tu décrirais ton style? »

Abraham:

« Bah moi personnellement, c’est pas que je suis la mode ou quoi que ce soit.

Par exemple, j’ai les cheveux rouges, c’est ce que j’aime, c’est mes goûts ».

Nous :

« Et tu te sens discriminé par rapport à tes cheveux? »

Abraham :

« Oui, ça arrive ».

Nous :

« Tu as un exemple ? »

Abraham :

«  Par exemple, dans la rue, j’entends des commentaires désobligeants. Les enfants ils disent : « t’es moche! ».

Abraham :

« Est‐ce que ça t’atteint ? »

Nous :

« Au début, oui. Ca fait toujours quelque chose mais j’essaie de faire abstraction ».

Abraham :

« Tu penses pas qu’ils le fassent inconsciemment? »

Nous :

« Non, tu peux pas regarder quelqu’un droit dans les yeux et lui dire quelque chose sans le vouloir, sans le penser vraiment. Mais de là à ce qu’ils veuillent vraiment me blesser, je pense pas. Mais, je ne me sens pas systématiquement discriminé, j’ai des amis qui

m’acceptent comme je suis ».

Nous :

« Ces amis dont tu parles, ils ont le même style que toi ? »

Abraham :

« Non, chacun a son style, mais, au final, c’est pas le physique le plus important, c’est la personne en elle‐même qui est importante, ce qu’elle dégage vraiment.

Il faut pas se fier à une apparence.

Nous :

« Et toi, tu as déjà discriminé quelqu’un ? »

Abraham:

« Oui, mais pour rire ».

Nous :

« Comment ça, pour rire ? »

Abraham :

Par exemple, pour plaisanter avec mes amis, je me moque de leurs origines.

Nous :

« Penses‐tu qu’en disant des choses comme ça, ils puissent mal le prendre ? »

Abraham :

« Non, a la vraie moquerie, méchante gratuitement, et la moquerie normale, comme moi je me moque des mes frères et sœurs ».

Nous :

Et, les autres moqueries, tu les penses ? »

Abraham :

« Non, je ne suis pas si méchant, je n’aimerais pas que ça m’arrive ».

Nous:

« Alors pourquoi te moques-tu? »

Abraham:

« Je ne sais pas, ça dépend du contexte.

Parfois, quand on est en groupe on se moque plus facilement d’une personne, on est influencés, on veut se sentir intégrés et parfois je me moque uniquement pour taquiner une personne, lui montrer mon intérêt et mon affection parce que comme on dit “qui aime bien, châtie bien”. Et parfois, je me moque simplement pour rire. »